International literature and music festival

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FRANCE

BELGIUM

WRITTEN BY

Claire Baglin

(FR)

TRANSLATED BY

Lola Bertels

(BE)

Claire Baglin - 4

5 November 2023

À Mauritshuis ce jour, j’ai retrouvé la suspension, le temps d’arrêt, cette trêve que je ressens lorsque j’arpente les rayons d’une librairie ou que je parcours un musée. Il me semble que je ne l’éprouve pas dans l’écriture : l’écriture s’apparente davantage à une fièvre, à une tension chez moi. Cette intervalle donc, je l’ai trouvé dans le tableau de Gabriël Metsu intitulé « A Young Woman Composing a Piece of Music ». Une jeune femme est assise au centre, attablée à un bureau. Elle tient une plume dans sa main droite, l’encrier est proche. Sur sa gauche, une femme semble chercher ses accords, un luth entre les mains. Elle est concentrée mais son regard se porte sur la jeune femme au centre : peut-être attend-elle quelques instructions, la suite de la partition. A droite, un homme se penche au-dessus de l’épaule de la femme assise et jette un œil sur sa feuille comme pour s’enquérir de l’avancée de l’écriture. L’expression de cette femme est saisissante : elle semble plongée dans ses pensées, à la recherche de quelques illuminations. Elle a composé une partie de la partition mais s’est arrêtée. Elle réfléchit ou bien elle attend. Est-elle en proie au doute ? Le titre du tableau semble trancher cette question : la jeune femme compose et ce temps d’arrêt n’est pas la fin de la composition. Ce temps d’arrêt fait partie du travail et constitue un moment de l’écriture. Dans le coin inférieur droit du tableau, un chien s’apprête à bondir. Un instant.

Je reprends cette chronique, la reprends différemment puisque la rencontre autour des Chroniques a eu lieu.

Chère Lola,

Il faut commencer ainsi puisque c’est toi qui me lis, toi qui traduis ces textes et ces phrases qui ne sont parfois pas les miennes mais que j’emprunte aux auteurs que je découvre, à ceux dont je suis le travail depuis plusieurs années. La traduction me semble être un accompagnement, la tentative de compréhension d’une altérité (et ainsi s’apparente au travail du lecteur : être surpris, recueillir ce que l’on lit, accepter d’être frappé, d’être saisi par la phrase). Ainsi la traduction reviendrait à comprendre ou à rendre, rendre fidèlement (ou non ?) les mots d’un autre, et composer avec soi puisqu’on ne se départit pas de sa personne, des mots que l’on a entendu enfant, de ce qui nous est connu. Lola, tu écris, ce sont tes mots, ce sont tes phrases. Tu les actives, les composes, tu t’arrêtes un instant avant que de reprendre. Les chroniques permettent cela, de nouer un lien, de mener un échange (par la traduction) avec quelqu’un que nous ne connaissons, finalement, que par les textes que l’on lit. Notre point commun est celui-ci, ce sont ces mots. Le soir de la rencontre, nous avons vu des pair(e)s dialoguer autour de ce commun. Lecteurs écrivains, traducteurs écrivains, lecteurs traducteurs.

J’ai parlé français ce soir-là tout en sachant que je m’adressais à toi, chère Lola, et que peu de personnes me comprenaient. Je m’appliquais, j’entendais ma langue maternelle comme une langue étrangère, j’entrapercevais la façon dont elle pouvait sonner à des oreilles néerlandaises. On ne l’aime que davantage, sa langue maternelle, lorsqu’on perçoit l’émerveillement qu’elle produit chez des personnes qui se contentent de l’entendre sans la comprendre. La poésie aussi est affaire d’écoute plus que de compréhension. J’ai ressenti cela en entendant Jan lire en polonais, n’entendre que la formation des lettres, la vitesse d’une langue, ses articulations. Tout d’un coup j’ai savouré mon incompréhension. Cela m’a ramené à mon voyage japonais du mois de juin : je m’aidais beaucoup des logiciels de traduction et j’étais grandement aidée par mon compagnon lorsqu’il s’agissait de communiquer avec des Japonais, mais il y avait une situation dans laquelle je me trouvais dans l’incompréhension la plus grande. J’entrais dans un sento, un bain public japonais, bain de quartier, et devais laisser toutes mes affaires dans un casier, n’avoir avec moi qu’un savon, un peigne et une serviette. J’entrais nue dans le sento, allais m’asseoir sur un tabouret pour une première douche. Je ne comprenais aucune des pancartes autour de moi, aucune des indications, je ne pouvais m’aider de rien ni personne. Là, j’étais seule et devais accepter de ne rien comprendre. Ainsi, chère Lola, s’achève cette troisième chronique : de l’incompréhension bienheureuse.

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