International literature and music festival

social iconsocial iconsocial iconsocial iconsocial icon

Choose language

FRANCE

BELGIUM

WRITTEN BY

Claire Baglin

(FR)

TRANSLATED BY

Lola Bertels

(BE)

Claire Baglin - 1 - Prologue

28 October 2023

Au cours du mois de septembre, j’ai lu successivement l’auteur hongrois Dezsó Kosztolányi et l’auteur serbe, Danilo Kis. Alors engagée dans un travail d’écriture, je lisais avec joie l’auteur hongrois et les aventures de son héros, Kornél Esti, personnage frivole et extravagant qui se retrouve dans des situations toutes plus loufoques les unes que les autres. Ce recueil d’histoires m’apportait quelques respirations, me permettait quelques échappées alors que je peinais dans mon écriture, lente et laborieuse. Parallèlement, je lisais le roman de Danilo Kis, Chagrins précoces - pour les enfants et pour les raffinés : c’était une lecture de recherche, elle faisait partie de ma bibliographie de travail d’écriture. Je cherchais alors à lire des textes sur l’enfance, sur les enfants et Danilo Kis, dans Chagrins précoces, raconte une enfance en Serbie pendant la Seconde Guerre mondiale. Hasard : dans ces deux textes j’ai retrouvé la question de la traduction. Dans le recueil Kornél Esti d’abord, un chapitre est intitulé « Dans lequel Kornél Esti bavarde en bulgare avec un contrôle bulgare, et jouit du doux effroi de la confusion babélienne des langues. » Ce titre est magnifique et résume bien l’histoire : le héros, qui parle bien sûr dix langues et n’a jamais été mis en difficulté à l’étranger, se retrouve à converser avec un contrôle bulgare alors qu’il se trouve dans un train traversant la Bulgarie. Son conseil est le suivant : pour parler une langue étrangère, il suffit d’être silencieux et grave comme les locaux plutôt que d’essayer de dire beaucoup avec les rares mots que l’on connaît, nous serions alors vite démasqués. Kornél Esti conversera pendant vingt-quatre heures avec ce contrôleur, sans jamais dire que « oui », « voulez-vous fumer ? » (phrase qu’il a appris dans le train, sur un des panneaux informatifs), « non » et en hochant la tête. Dans Chagrins précoces, Danilo Kis écrit ceci : « Mon père m’avait expliqué un jour que deux personnes qui parlent des langues différentes peuvent quand même se comprendre, si ce sont des gens raisonnables et de bonne volonté. Dans ce cas-là, il faut parler lentement et intelligiblement, et surtout, bien sûr, ne pas poser de questions difficiles. »

Il était important pour moi de commencer par ces deux auteurs et par ces deux textes pour parler de traduction et du festival Crossing Border auquel je vais participer. Je les ai lus sans faire de rapprochements puis ils se sont rapprochés, d’abord par ces passages sur la traduction, puis j’ai appris que Danilo Kis avait traduit Kosztolányi, lui qui connaissait le hongrois de son père. Ce festival sera l’occasion d’éprouver ce « doux effroi de la confusion babélienne des langues », moi qui ne sait encore quel bord choisir entre être raisonnable et de bonne volonté, et me tenir silencieuse pour transcender les langues étrangères, me tenir alerte afin de comprendre les émotions et intentions en me passant des mots. Les mots ne peuvent tout. Je me tiendrai sans doute entre les deux, sur un fil, avec la hâte d’être déstabilisée : je serai aidée par la traductrice Lola Bertels, je me tiens prête.

WHAT INSPIRED THIS STORY?

More from Claire Baglin and Lola Bertels

5 November 2023

Claire Baglin - 4

À Mauritshuis ce jour, j’ai retrouvé la suspension, le temps d’arrêt, cette trêve que je ressens lorsque j’arpente les rayons d’une librairie ou que je parcours un musée. Il me semble que je ne l’éprouve pas dans l’écriture : l’écriture s’apparente davantage à une fièvre, à une tension chez moi. Cette intervalle donc, je l’ai trouvé dans le tableau de Gabriël Metsu intitulé « A Young Woman Composing a Piece of Music ». Une jeune femme est assise au centre, attablée à un bureau. Elle tient une plume dans sa main droite, l’encrier est proche. Sur sa gauche, une femme semble chercher ses accords, un luth entre les mains. Elle est concentrée mais son regard se porte sur la jeune femme au centre : peut-être attend-elle quelques instructions, la suite de la partition.

4 November 2023

Claire Baglin - 3

La Haye de jour. Dans un café du centre-ville, j’ai raconté la cloche en face de l’appartement où j’habite, cette cloche d’église qui sonne chaque heure et sonne soixante fois à huit heure trente et dix-huit heures trente. Et dans ce café du centre-ville, à plus de sept cent kilomètres de chez-moi, je l’ai entendu. Retrouver par le récit des situations et retrouver par la langue, dans sa langue, les personnes desquelles on se trouve éloigné. Susciter ces figures, elles parlent à notre insu, elles parlent dans notre bouche. Mais comment ce mouvement ne serait-il pas un mouvement de repli, le refuge du connu, le rejet de ce qui effraie et de ce qu’on ne saisit pas tout à fait ?

3 November 2023

Claire Baglin - 2 - 1st chronicle

Je ne souhaite pas raconter les péripéties du voyage jusqu’à La Hague qui m’ont fait rater le dîner de jeudi, dîner durant lequel je devais rencontrer les auteurs des Chroniques. Dès le prologue j’ai fait le choix (et c’est un choix qui m’appartient) de ne pas faire tourner ces chroniques autour de mon « ressenti » et de mon « expérience » du festival. Dans cette perspective, je reprends cette phrase que j’ai lu chez un auteur qui m’est cher, Marcel Cohen, dans son récit qui vient de paraître aux éditions Gallimard, Cinq femmes : « [J.B Pontalis] proposait de substituer « l’autographie » à l’autobiographie. « L’autographie, notait-il, c’est : j’écris en mon nom, mais je ne me regarde pas dans un miroir. » » Je ne me ferai pas journaliste et je pense que la promotion du festival est assurée de la meilleure façon par les personnes dont c’est le travail. Je préfère m’attacher à la question de la traduction, sentir le « doux effroi de la confusion babélienne des langues » et j’userai du « je » comme le préconise Pontalis.

See The Chronicles live at Crossing Border 2023