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FRANCE

BELGIUM

WRITTEN BY

Claire Baglin

(FR)

TRANSLATED BY

Lola Bertels

(BE)

Claire Baglin - 3

4 November 2023

La Haye de jour. Dans un café du centre-ville, j’ai raconté la cloche en face de l’appartement où j’habite, cette cloche d’église qui sonne chaque heure et sonne soixante fois à huit heure trente et dix-huit heures trente. Et dans ce café du centre-ville, à plus de sept cent kilomètres de chez-moi, je l’ai entendu.

Retrouver par le récit des situations et retrouver par la langue, dans sa langue, les personnes desquelles on se trouve éloigné. Susciter ces figures, elles parlent à notre insu, elles parlent dans notre bouche. Mais comment ce mouvement ne serait-il pas un mouvement de repli, le refuge du connu, le rejet de ce qui effraie et de ce qu’on ne saisit pas tout à fait ? Le matin du trois novembre, j’écoute le poète belge Eugène Savitzkaya déclarer à un public de lecteurs « Il y a des ateliers où viennent des gens qui ne veulent pas savoir, comment est-ce possible, ils viennent sans vouloir apprendre quelque chose de nouveau […] mais si vous ne voulez pas savoir, savoir plus que ce que votre cerveau a prévu de savoir, vous êtes fichus ! Il me semble que plus les logiques poétiques sont compliquées, mieux c’est pour le cerveau humain sinon il s’atrophie, il se nécrose. » Alors peut-être faut-il rester vigilant et se garder de plonger tout entier dans la langue connue, trop connue. Pourtant, lorsque tout d’un coup, au cœur de La Hague, je lis le français sur la façade d’un bâtiment, j’éprouve une émotion. Je ne sais la repousser, c’est une émotion qui ressemble à celle éprouvée dans l’écriture : ô, écrire sa langue… Ainsi la traduction serait, peut-être, parvenir à traduire cette émotion aussi. Et l’ode à sa langue devient ode à toutes langues.

Je suis toujours dans ce café du centre-ville, assise comme au théâtre. Peut-être est-ce là ma position, celle que je cherche à comprendre et dont je tente de tracer les contours : être assise comme au théâtre et donc être spectatrice, tout comme être lectrice. Il y a dans ces deux mouvements une inflexion au sens littéral du terme : se baisser, s’agenouiller presque et donc s’arrêter. Il s’agit de suspendre (un temps ?), d’arrêter (le temps ?), de devenir dépositaire, de garder pour les autres, voir et lire pour tous ceux qui ne verront et ne liront pas. Pourtant deux distinctions sont à faire : le lecteur active le texte et ne se contente pas de recevoir, il ne tend pas les deux mains pour qu’on y dépose quelque chose. Il ouvre (le texte), il reçoit (la phrase), il transforme, il donne vie. La deuxième distinction est la suivante : si la spectatrice est celle qui assise au spectacle, quel est-il ce spectacle ? Je veux reprendre ces mots du plasticien Claudio Parmiggiani : il faudrait « Prendre conscience d’une réalité toujours plus orientée vers un art entendu comme spectacle de l’art, comme art-sport, art-record, art à utiliser et à jeter ; une réalité qui, en réalité, a toujours moins de nécessité que l’art et les artistes. » (p. 191, Stella, Sangue, Spirito). Premier jour de Haye, le vent n’est plus la tempête initiale et l’on marche avec lui, dans son sens.

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